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Textes Blog & Rock and Roll
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27 janvier 2011

Face à Face (fin)

Pierre invita Mathieu à entrer dans la maison. Il le précéda et se dirigea directement vers la cuisine. Sans se retourner, il demanda à son fils s’il voulait boire quelque chose. Mathieu accepta bien volontiers un café et en profita pour explorer les lieux. Le salon était sans doute grand mais on s’y sentait finalement à l’étroit. Des bibliothèques remplies de livres, de DVD, de CD et d’albums vinyles, longeaient quasiment tous les murs de la pièce, un billard y trônait en plein milieu, un vieux canapé noir en cuir où il était impossible de s’y asseoir sans s’affaler faisait face à un système home-cinéma dernier cri. Mathieu s’approcha d’une bibliothèque et parcourut des yeux les titres s’y trouvant. Bien évidement il y avait tous les livres écrits par son père, mais plus surprenant, toute une série de romans à l’eau de rose écrit par un certain Patrick Smith. Mathieu ne put contenir un grand éclat de rire. Il entendit Pierre revenir avec une tasse de café dans une main et du sucre dans l’autre.

-  Voyez-vous ça ! Pierre Piton, l’auteur trash, rebelle et irrévérencieux raffole de la collection Arlequin. Quel scoop non ? Ne me dis pas que tu as lu ces bouquins quand même, questionna Mathieu.

-  Non seulement je les ai lus, répondit son père, mais en plus je les ai écrits. Patrick Smith c’est moi. C’est aussi moi, ajouta-t-il. Mathieu le fixait d’un air interrogatif.  Comment un type capable de décrire avec précision, minutie, et un certain plaisir apparent les agissements d’un serial killer dans un orphelinat, pouvait ensuite narrer les aventures amoureuses d’un riche veuf et d’une pauvre secrétaire de banlieue ? Tu vois c’est avec ça que tu as pu faire des études Mathieu. Sans ces merdes écrites la plupart du temps en moins d’une semaine, tu serais sans doute en survet’ aujourd’hui et pas en costard.

L’atmosphère s’était refroidie de vingt degrés en moins de trente secondes. Pierre tendit la tasse à son fils d’un air furibond et se jeta dans le canapé. Mathieu ne riait plus à présent, il se tenait derrière son père et touillait son café pour se donner une contenance.

-  J’avais presque trente ans. Ta mère, à peine vingt. Je l’avais rencontré lors d’une de ces soirées au bord de la plage. J’avais des amis qui avaient percé dans le show-biz. Moi-même j’avais mes entrées dans le milieu depuis que j’avais écrit les paroles de deux trois chansons à succès. C’était débile mais plus c’est con plus ça marche. Reste avec moi, au moins jusque la fin du mois, ça te dit quelque chose ? Mathieu opina du chef en silence, Pierre continua sans se retourner vers son fils. Et bien c’est de moi. Tout le monde n’écrit pas Les Fleurs du Mal quand il se met la tête à l’envers. Donc bon, j’écumais la Cote d’Azur avec mes potes beaucoup plus friqués que moi. Ils organisaient des soirées, rameutaient les belles gonzesses qu’ils pouvaient croiser la journée et en avant Guingamp. Ça a tout de suite collé avec ta mère. On est restés une semaine ensemble et puis je l’ai ramené dans mes bagages à Paris. On a vécu ensemble six mois. Et puis elle est tombée enceinte. En ce temps là pas de Sida, pas de capotes, on ne tirait pas à blanc. Moi je ne voulais pas entendre parler de gosse, mais qu’est ce que j’allais faire ? La mettre par terre et la rouer de coup jusqu’à ce qu’elle perde le môme ?

Mathieu ne remuait plus la cuiller. Il était incapable de bouger. Pour la première fois, les évènements précédant sa naissance lui étaient rapportés. Et il n’était plus très sûr de vouloir les connaître. Pierre continuait pourtant.

-  Je n’ai jamais voulu de môme. Pour quoi faire ? J’étais moi-même un gosse. Je faisais ce que je voulais quand je le voulais. Bien sûr il fallait écrire de temps en temps pour gagner un peu d’argent mais c’était facile. Alors j’allais d’une soirée à une autre, d’un endroit à un autre, d’une fille à l’autre sans me soucier du lendemain. C’est toujours ce que j’ai fait. Alors oui de temps en temps je me posais avec une nana, et puis je m’arrangeais toujours pour qu’elle se casse. Le plus souvent en me faisant gauler en flagrant délit d’adultère. Radical. La seule que j’ai laissé derrière moi c’est ta mère…

Mathieu était en train de fulminer intérieurement. Premièrement son père était un salaud, deuxièmement il n’avait pas été désiré. La haine et l’humiliation se disputaient le contrôle de ses émotions. Mathieu était venu chercher des réponses à toutes ses questions, il espérait un happy end avec une étreinte entre un père et son fils au soleil couchant. Pas de pot, il était tombé sur un vieux bonhomme blasé, aigri, et regrettant sans doute le fait que son fils soit venu au monde. Mathieu vint s’écrouler sur le canapé et se mît à pleurer. Pierre tourna la tête vers lui. Il fît la moue en voyant le jeune homme le visage plongé dans ses mains, le corps pris de petits spasmes.

-  Et alors gamin, reprît l’écrivain. C’est quoi le problème ? Tu ne t’en doutais pas ? Tu espérais quoi ? Je n’ai jamais pris la peine de chambouler quoi que ce soit dans ma vie pour m’occuper de toi. Je me suis contenté d’envoyer des chèques pour que ta mère ne manque de rien à condition qu’elle me foute la paix avec tout ça. Le deal était celui là : si jamais tu pointais ton nez sous le mien, je fermais le robinet et je me cassais à l’étranger pour être peinard. Comme je n’ai plus le temps de m’expatrier je vais me contenter de dilapider tout ça avant de m’en aller…

-  Mais tu te rends compte de ce que tu es en train de dire ? hurla Mathieu. Il se retenait de se jeter sur son père pour l’étriper parce qu’un fond de morale, judéo-chrétienne sans doute, l’en dissuadait. Mon père n’a jamais voulu de moi. Qu’est ce que j’ai fait pour mériter ça ?

-  Tu parles d’un drame, fit Pierre en levant les bras et les yeux au ciel. Mais mon pauvre Mathieu, tu raconte n’importe quoi. Personne n’est ici selon la volonté de ses parents. Naître c’est gagner au Loto et après tu te démerdes avec le magot. Tu crois vraiment que les parents se disent : nous voulons un fils qui mesurera un mètre quatre-vingt deux, soixante-quinze kilos, brun, les yeux verts, il faudra qu’il aime les haricots verts, les hérissons, qu’il soit habile de ses mains et bon en histoire-géo. Non ce n’est pas comme ça que ça marche. Au Loto c’est pareil. On sait qu’il y aura un gagnant mais on ne sait pas qui ce sera. Même les pires des criminels, ou des détraqués mentaux ont des parents. Et on peut légitimement penser qu’ils ne sont pas dit « et si on faisait un psychopathe qui égorgera les petites vieilles ? ».  Toi, moi, ta mère, le pape même, PERSONNE n’a été désiré. Et puis il n’y a rien de plus simple que de faire un enfant. En tout cas avec ta mère à l’époque, elle était tellement belle, c’était très facile d’avoir envie de FAIRE un môme. S’en occuper après c’est une autre paire de manches. Moi ça ne m’a jamais intéressé. J’avais autre chose à faire. Ecrire, voyager, écouter de la musique, me reposer, baiser, jouer au billard, passer du temps avec des potes, vivre quoi. Et désolé, tu n’entrais pas dans le programme. N’y vois rien de personnel, ce n’est pas Mathieu Duchausson le problème. C’est le concept même de l’enfant. Toi ou une autre combinaison de chromosomes c’était pareil.

Pierre Piton se leva et retourna dans le jardin, laissant son fils digérer seul ce qu’il venait d’entendre. Mathieu resta hébété une bonne demie heure, les yeux écarquillés, dans le vide. Il était retourné à la source et s’était fracassé contre un cul-de-sac. Longtemps son père avait constitué le mystère le plus absolu, et puis il s’était matérialisé sous la forme de la doublure de Pierre Piton avant d’être Piton lui-même, pour finalement disparaître à nouveau. Il fallait se rendre à l’évidence, Mathieu n’avait jamais eu de père. Il était juste arrivé premier à un malheureux concours de circonstances. Que faire maintenant ? Décamper au plus vite et sombrer dans une dépression rendue inévitable par le fait d’être comme une sorte de péché originel ayant entraîné son propre malheur ? Ou bien accepter cet état de fait et reprendre sa vie là où il l’avait laissé tout à l’heure, lorsqu’il fumait assis sur le capot de sa voiture.

Il n’avait toujours pas la réponse à sa question lorsqu’il réussit enfin à se dresser sur ses jambes. Il jeta un dernier coup d’œil dans le salon et se dirigea lui aussi vers la sortie. Il vit son père, debout face au soleil, les mains dans les poches. Mathieu renonça à aller vers lui et se dirigea vers le portail. En l’entendant un peu grincer, Pierre se retourna.

-  T’es dispensé de sonnette pour la prochaine fois. Mais ne traîne pas trop.

Ils n’étaient pas très nombreux à se serrer sous la pluie autour de la tranchée creusée par le fossoyeur ce matin là. Pierre Piton était mort quelques jours auparavant d’un cancer du foie. Les médecins n’avaient pas réussi à le soigner mais en revanche s’étaient révélés bien meilleurs pronostiqueurs en ce qui concerne la date du décès. Mathieu sentait les regards inquisiteurs se poser sur lui à tour de rôle. Pourtant il n’y avait pas de meilleur hommage selon lui que de porter ce costume d’un blanc étincelant pour l’enterrement d’un homme, et qui plus est de son père, malgré tout, qui ne voulait pas vivre comme tout le monde.

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Commentaires
C
M... ça sonne comme un compliment ce truc de mâle reproducteur --> n'en tient pas compte, c'était pas volontaire !
C
Plus compliqué de ton point de vue de mâle reproducteur seulement !
C
A chaque tirage du Loto tu as une chance sur 19 068 840 de gagner.<br /> <br /> Alors qu'au loto de la vie à chaque tirage il y a entre 100 et 600 millions de spermatozoides qui font la course.<br /> <br /> Finalement naître est plus compliqué que de gagner au Loto.
C
N'empêche qu'au loto de la vie, t'as bien plus de chance au tirage qu'à celui de la FJ.
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