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Textes Blog & Rock and Roll
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14 mars 2011

Le pire est avenir (1ère Partie)

Le vent balayait les herbes hautes jouxtant un sentier sinuant tel un fleuve enragé. Le soleil rougeoyait et allait bientôt plonger dans la Manche. Un homme portant un grand manteau noir et une écharpe encore plus sombre marchait lentement. De temps en temps il tapait dans un caillou avec son pied pour l’éjecter hors du chemin. Au détour d’un énième virage il vit une forme quasi immobile au bord de la falaise. Seul le vent faisait vaciller l’individu qui se dressait face à la mer, la tête penchée vers le bas. Le marcheur sortit du sentier et s’avança lui aussi vers le bord de la falaise. Le type qui lui tournait le dos portait une veste grise, un vieux jean et des baskets sales.

-  Vous n’allez pas sauter quand même ? dit le promeneur.

-  N’approchez pas, cria l’autre. N’approchez pas, je vais me jeter. N’approchez pas où je fais le grand saut !

L’homme en noir avança ses mains en signe d’apaisement et s’écarta un peu. Il montra du doigt un rocher qui se trouvait légèrement sur le côté, indiquant à son interlocuteur qu’il allait s’asseoir.

-  Cette petite promenade m’a tué, fît-il remarquer. Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas là pour vous en empêcher. Fondamentalement je veux dire. Le désespéré devint alors suspicieux. C’est vrai, moi, je m’en fous que vous vouliez vous écraser cent mètres plus bas. Vous avez envie de mourir, c’est votre problème après tout. Mais bon la loi m’oblige à ne pas vous laisser faire. Dura lex, sed lex.

-  Tout le monde s’en fout si je crève. Plus rien ne me retient. Je vais me jeter.

-  Je vous l’ai dit, sur le principe j’ai rien contre le fait que vous sautiez. Mais pas quand je suis là. Ça risquerait de me retomber dessus si j’ose dire.

-  Et bien cassez-vous que je puisse me suicider tranquillement !

-  Oh hé ça va hein. Deux minutes. Pour vous c’est facile il vous reste cent mètres à faire, et sans marcher en plus. Moi ça fait une heure que je vadrouille et j’en ai encore autant à faire avant de rentrer. Et puis vous n’êtes pas pressé. Dans un quart d’heure, les galets seront encore là, prêts à recueillir vos tripes et votre cervelle. Permettez que j’enlève mes chaussures. En plus, coup de bol, le vent ne part pas dans votre direction.

Le marcheur se mit à l’aise et étira ses jambes tout en posant ses mains derrière lui sur le rocher. Il regarda l’horizon. A cette heure de la journée, on pouvait fixer le soleil sans s’éblouir. Tout en admirant les vagues se former au loin et venir s’échouer au bord des falaises, l’homme au manteau noir demanda à l’autre son nom. Il s’appelait Sylvain, trente ans. Sa femme était partie, puis devenu dépressif, il était devenu très négligeant au travail. Résultat des courses, un licenciement pour faute grave. Démotivé complètement, Sylvain n’était pas parvenu à retrouver un boulot, il avait dû quitter son appartement faute de pouvoir payer son loyer, et il zonait à droite et à gauche pour subsister.

-  Sylvain, est ce que le suicide est la solution ? Vous savez, moi aussi, je me suis fait larguer par une nénette.  Elle était sublime. Et puis un jour, envolée, disparue. J’ai appris qu’elle s’était fait la malle pour un autre. Je bossais dans la boîte de son père. Pareil, je me suis retrouvé dehors du jour au lendemain.

-  Et comment vous avez fait pour vous en sortir ? demanda Sylvain, en gardant les mains dans les poches de sa veste.

-  Qu’est ce que j’ai fait ? Je me suis racheté une bagnole, tiens ! Une Jaguar. La XK8. Quatre cents chevaux. Deux cent cinquante à fond de cinquième. La grande classe. L’homme en noir se mît à rire. Vous avez quoi comme bagnole vous ?

-  Une vieille Opel Corsa. Diesel, répondit Sylvain en se sentant tout petit.

-  Décidément, vous n’avez vraiment pas de chance. Je vous comprends mon vieux. A votre place moi aussi j’irais m’écraser en bas de cette falaise. Vous voulez venir faire un tour de Jaguar? De toute façon, vous n’allez pas me faire croire que vous aviez quelque chose de prévu.

Sylvain n’en croyait pas ses oreilles. Il y avait un type assis à côté de lui, sans chaussure, qu’il n’avait jamais rencontré de sa vie, et qui lui proposait une virée en bagnole alors qu’il était sur le point de se suicider.

-  Pourquoi vous faîtes ça ? Pourquoi vous ne me laissez pas crever dans mon coin tranquillement ? Je ne sais même pas qui vous êtes ? Comment vous vous appelez ? questionnait fébrilement Sylvain.

-  Je m’appelle Luc. Et vous avez peur ou quoi ? Je vous fais remarquer qu’il y a cinq minutes vous étiez sur le point de vous tuer. Qu’est ce qui peut vous arriver de pire ? Sylvain haussa les épaules et se retourna vers la mer. Si vous voulez je vous redépose ici ensuite. Enfin pas là, mais au parking, pas question que je me retape tout ça à pied une fois de plus.

Sylvain ne bougeait pas. Il contemplait les vagues, de temps en temps il regardait vers le bas pour estimer une nouvelle fois combien de temps il mettrait avant de s’écraser au sol s’il sautait.

-  Bon après tout vous faîtes comme vous voulez, j’y vais dans cinq minutes. Soit vous venez avec moi, soit vous sautez. On ne pourra pas dire que je n’ai rien tenté pour vous en dissuader. Je n’ai pas de portable sur moi, impossible d’appeler du secours. Je vous demanderai juste d’attendre dix minutes après que je sois parti pour plonger.

 

Luc remît ses chaussures en poussant un soupir de douleur. Il questionna du regard Sylvain et se leva. Il passa devant lui en faisant un signe de tête. Dans ce geste il y avait une certaine connivence entre les deux hommes. Une sorte d’au revoir et à la prochaine. Pourtant, si rien ne bougeait, Sylvain serait retrouvé le lendemain, complètement disloqué dans une mare de sang sur une plage de galets. Luc marchait à présent sur le sentier. Il avait fait une centaine de mètres et il n’entendait que le bruit du vent. Tout en fouillant ses poches, il s’arrêta. Il se mît à palper son manteau, puis son pantalon et lâcha un juron. Il fît demi-tour en se hâtant.

-  Sylvain !

Pas de réponse. Le vent était vraiment violent et Luc se demandait si sa voix portait assez ou bien si le malheureux avait déjà sauté. Luc accéléra la cadence, et courût même sur quelques mètres.

-  Sylvain ! Vous êtes toujours là ? cria-t-il en haletant. Ah ouais…cool…vous êtes toujours là. Il reprît son souffle. Dîtes, pendant que je vous tiens. Vous n’auriez pas un peu de monnaie des fois ? Vous savez ce que c’est, je voulais boire un coup en arrivant au parking. Je crève de soif. Et, bon, j’ai pas de pièces sur moi. Ils ne prennent pas la carte bleue et j’ai pas envie de casser un billet de cent. De toute façon vous n’en avez plus besoin. Autant que ça profite à quelqu’un non ?

Sylvain écarquilla les yeux, complètement abruti par la situation. Machinalement il fouilla ses poches et en sorti cinq euros.

-  Je rêve, fît Sylvain. Je suis RMIste et je suis en train de me faire taper du fric par un mec qui roule en Jaguar. Mais quel genre d’homme êtes-vous Luc ?

-  Quoi ? Ne faîtes pas l’égoïste Sylvain. Si vous ne me les filez pas à moi ces cinq euros, ce sont les types qui vous ramasseront en bas qui vous feront les poches. Autant que ça serve à quelqu’un à qui vous les donnez et pas à ceux qui vous les voleront.

-  Mais enfin, vous tombez sur un type qui veut se suicider, vous ne l’incitez pas à changer d’avis et vous voulez lui prendre son blé en plus ! Vous êtes complètement immoral Luc !

-  Vous oubliez de mettre à mon crédit le fait de vous avoir proposé un tour en Jaguar. Si vous la voyiez Sylvain, vous oublieriez votre foutue falaise croyez-moi.

-  Oh pardon Monsieur. Vous croyez que ça suffit pour empêcher quelqu’un de se tuer un tour en bagnole ? Prenez-les ces foutus cinq euros et foutez moi le camp.

Sylvain tendit le billet que Luc s’empressa d’attraper. Il le remercia et retourna d’où il venait. Sylvain regardait cet homme en noir s’éloigner et s’assit sur le rocher. Il releva ses genoux et y plongea sa tête à l’intérieur. Il repensait à Marie, aux projets qu’il avait eus avec elle. Le mariage, les enfants, une petite maison. Et puis elle est partie, parce qu’elle s’ennuyait avait-elle avancé. Maintenant qu’il y repensait, lui aussi s’ennuyait. Mais c’était plus une question de moyens que d’envie. Il aurait adoré l’emmener au bout du monde, mais quand on livre des journaux du matin au soir, le bout du monde ça se résume à une falaise et des galets cent mètres plus bas. Sylvain se leva d’un bond et se mît à courir sur le sentier. Il aperçut au loin la silhouette de Luc se détacher très légèrement dans la pénombre qui s’installait. Tout en sprintant il criait afin que Luc le remarquât, mais le vent était trop puissant pour laisser passer sa voix.

 

(à suivre)

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