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Textes Blog & Rock and Roll
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12 avril 2011

L'Ascension

Il y a quelques années je suis parti de la ville pour m’installer à la montagne. J’en avais marre du célèbre triptyque métro-boulot-dodo. Alors j’ai pris mes cliques et mes claques, direction la Savoie.  Je voulais changer d’air, vivre quelque chose de complètement différent. Avant j’habitais dans un appartement au cœur de Paris. Paris est une ville fantastique, vous ne me ferez pas dire le contraire, mais à un moment donné je me suis senti étouffé, oppressé, sclérosé. L’immeuble hausmannien d’en face, les trottoirs gris, la rue au milieu, la Tour Eiffel même, m’ennuyaient profondément. J’avais envie, besoin peut-être de voir autre chose. Après avoir vécu des moments formidables dans cette ville, il m’apparaissait évident que la vie était forcément meilleure ailleurs.

Je m’installais d’abord dans un hôtel, mais très vite, après avoir visité furtivement quelques maisons sans saveur, je trouvais enfin mon bonheur. Une petite bâtisse avec une vue majestueuse. Quelle que soit la direction dans laquelle je regardais il n’y avait que des grands sapins, on entendait même le bruit d’une rivière sans pouvoir l’apercevoir. Devant chez moi passait une petite route sinueuse. Elle serpentait sur des kilomètres et se laissait guider par la montagne. Ici la ligne droite n’a pas sa place, ici on ondule, ou contourne, on entoure, seuls les pics abrupts des montagnes pointent vers le ciel. Je me souviens, lorsque j’ai emménagé à cet endroit, je passais mon temps sur cette route. J’enfilais mes baskets et je grimpais avec joie vers le sommet du col. Il m’arrivait même de grimper cette pente deux ou trois fois par jour, pour voir poindre l’aurore, ou le soleil se cacher derrière la montagne.

Ça va faire bientôt cinq ans que j’habite ici. Je ne regarde plus le paysage comme avant, il fait désormais partie de mon quotidien. Je remarque de moins en moins le changement des saisons, je dois faire un effort de concentration pour remarquer le son de l’eau qui coule, et surtout la plupart du temps, c’est en voiture que je parcours cette petite route qui mène vers le col. Alors bien sûr une fois en haut je trouve toujours la vue plaisante mais cela ne m’émerveille plus comme au premier jour. Néanmoins, de temps en temps, une envie m’envahit. Je mets mon short, un débardeur afin d’exhiber mes biceps, qui n’impressionnent sans doute que les écureuils et les mulots, mes vieilles chaussures de sport que le temps a rendu confortables et je sors sur le perron. J’embrasse alors la montagne du regard, je prends soin d’en admirer les moindres détails. Chaque arbre, chaque pierre, chaque clairière, les oiseaux, les nuages, rien n’échappe à mon regard. Puis délicatement, je pose mes pieds sur la route et j’entreprends ma marche. Doucement, je m’aventure sur le bord du macadam, je ne fais aucun bruit, je me laisse guider par le murmure de la forêt. Tous les souvenirs, toutes mes premières impressions me reviennent tout à coup. J’en ai presque la chair de poule, je suis serein, en pleine communion avec cette montagne. Je sais que tout peut changer très vite dans la région, mais je n’ai pas peur, je suis prêt. A présent, mes pas se font de plus en plus lourds, je n’hésite plus à peser de tout mon poids sur le bitume. Inconsciemment j’accélère. La montagne ne m’offre aucune résistance, cela m’incite à progresser plus en avant. Je commence à avoir un peu chaud, des gouttes de sueur perlent sur mes tempes, mon rythme cardiaque augmente légèrement. Malgré tout je ne ressens quasiment aucune fatigue. Mon souffle devient plus fort mais le plaisir de vivre ce moment l’emporte sur tout le reste. Chaque virage m’offre un nouveau frisson, j’ai très envie de découvrir le prochain tournant. Plus je m’approche du col, plus j’ai envie d’y arriver, mais en même temps je ne voudrais que cette balade ne s‘arrête pour rien au monde. Je me dis même qu’il faudrait remonter immédiatement cette côte après en être descendu. Ou si ce n’est pas tout de suite après, au moins dans l’après-midi qui suit. Je continue d’accélérer, l’effort me fait haleter, ma bouche devient sèche, tous mes sens sont en éveil. Désormais mes jambes attaquent de toutes leurs forces la route, je fais corps avec le bitume. Mes yeux semblent sortir de leurs orbites et je suis concentré sur une seule chose : la borne indiquant l’endroit exact du point le plus haut. Pour l’avoir parcouru des dizaines de fois, je sais que cet endroit est très proche. N’y tenant plus, je me mets à courir, mes poumons sont en feu, je ne contrôle plus grand-chose à l’intérieur de mon corps. Le dernier virage est atteint et c’est en sprintant que je me précipite vers cette borne. Ma respiration devient rauque, mon cœur bat à deux cents à l’heure, je suis trempé de sueur, mais je fonce. Plus que quelques mètres à parcourir, une dizaine de pas, et puis enfin j’atteins le haut du col. En passant à coté de la borne, je crie pour manifester ma joie. Sur ma lancée je cours encore quelques mètres et puis je m’immobilise. Mes muscles sont alors raides, je tente de reprendre mon souffle, en posant mes mains sur mes cuisses.

Je vais m’asseoir au bord de la route en respirant de plus en plus lentement. Je tourne le dos au bitume, mes pieds se balancent dans le vide. Je ne pense plus à rien, je me sens complètement vidé, je ne regarde même pas le panorama. Mes membres me font mal, et je me demande à quoi bon pouvait servir tout ça. Je n’ai plus envie de bouger, j’ai juste envie de m’allonger et de dormir. Je sens la sueur couler sur mon corps, je trouve ça désagréable. Il faut que je me douche pour me débarrasser de tout ça. Envie d’être ailleurs, de m’isoler, j’en viens presque à regretter Paris. Mais à quoi bon. A quoi bon…

Je redescends. Mes yeux sont ouverts mais ne voient rien. Mes jambes me ramènent directement vers la maison, mon cerveau est ailleurs, il a envie de découvrir d’autres chemins, d’autres paysages. Et puis finalement j’arrive devant chez moi. Machinalement, je rentre la clef dans la serrure, je me dirige directement vers la salle de bains. Je passe de longues minutes à me frictionner sous le jet d’eau. Complètement abattu, je marche tel un zombie dans le couloir et m’écroule sans ménagement sur mon lit. Juste avant de m’endormir, une dernière pensée me traverse. Je sais que, malgré tout, bientôt, j’aurai très envie de regrimper là-haut.

 

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