Hey J.O.
Les Jeux Olympiques de Londres sont terminés. Pendant plus de deux semaines, cette grande fête du sport a monopolisé l’attention de toute la planète. Unanimement tout le monde s’accorde à dire que la fête fut réussie et tout le Royaume-Uni, à l’image de David Cameron, son Premier Ministre, et Sebastian Coe, Président du Comité d’Organisation des Jeux Olympiques, peut s’enorgueillir de cette réussite. Mais, même si en tant qu’amateur de sport je me suis réjoui de cette quinzaine, il m’en reste malgré tout un arrière-goût bileux au fond de la gorge.
Je ne sais plus qui a dit que le sport c’était la guerre en short mais c’est devenu de plus en plus vrai. Les Jeux Olympiques sont à la base une occasion de rapprocher les peuples dans un esprit de fraternité, de sport et surtout de paix dans un monde où on se faisait la guerre très régulièrement. Les militaires se chargeant alors de construire l’orgueil national, les athlètes ne portaient pas tous les espoirs d’un peuple sur leurs épaules, certes musclées. Aujourd’hui que la guerre entre pays a quasiment cessé, l’atmosphère régnant autour des Jeux olympiques s’est considérablement modifié. Certes, nous sommes bien loin des jeux de Melbourne en 1956 lorsque Russes et Hongrois se sont livrés une vraie bataille lors d’un match de water polo, quelques semaines après l’insurrection de Budapest matée par l’Armée Rouge. Non sur les terrains de sport, ça se passe plutôt bien, même si l’humain étant ce qu’il est, violence et tricherie font parfois leur apparition. C’est autour de l’évènement en lui-même qu’on s’éloigne de l’esprit olympique. On savait depuis longtemps que le sport pouvait être un outil de propagande, propagande qu’on trouvait néfaste lorsqu’il s’agissait des pays de l’Est ou de la Chine, mais triomphante lorsque cela concernait les Etats Unis. Les boycotts de 1980 (les Américains ne voulant pas aller à Moscou pour protester contre l’invasion russe de l’Afghanistan) et 1984 (la réponse du berger communiste à la bergère californienne) en étaient un des derniers épisodes les plus marquants. Plus près de nous, on se souvient des Jeux de Pékin qui démontraient la surpuissance de la Chine. De ce côté-ci du Monde, on nous avait vendu les Jeux comme une promesse d’ouverture du régime chinois à plus de démocratie et de justice sociale. Comme disait notre antépénultième Président de la République, plus c’est gros plus ça passe. Il n’en a rien été bien sûr. On s’est agité de tous les côtés sur le plan diplomatique menaces de boycott à la clé, et puis finalement tout le monde s’était précipité à Pékin pour assister et participer à ces Jeux.
La politique n’est pas la seule interférence majeure dans le déroulement des Jeux Olympiques. C’est avant tout le business qui domine dans l’univers olympique. Je ne parlerai pas de tout ce qui se passe au niveau financier dans l’organisation des Jeux, mais en terme de dictature les JO n’ont de leçon à recevoir de personne. Par exemple cette année à Londres, si vous n’aviez pas la carte bancaire du sponsor officiel, vous aviez intérêt à avoir du liquide sur vous. Interdiction formelle pour les spectateurs d’afficher d’autres marques ou logos que ceux des sponsors officiels. Le père d’une joueuse de l’équipe de France de football s’est vu expulser manu militari du stade pour avoir brandi un drapeau breton, les organisateurs ne sachant pas qu’il représentait une région et non une marque concurrente. Et puis parce que le système ne marche qu’avec la complicité de ses clients, n’oublions pas non plus que la plus grande plaie du sport c’est d’abord le chauvinisme attisé par les médias en quête d’audience. On fait des ces champions des héros qui seront plus aptes à vendre des produits. La preuve flagrante de cet état de fait c’est la campagne de pub EDF qui a changé après les résultats de la natation française. Au départ le spot diffusé mettait en scène Tony Estanguet, alors double champion olympique de canoë, et deux faux techniciens d’EDF. De vous à moi, après plusieurs dizaines de visionnages de cette pub, je ne savais pas que c’était Tony Estanguet qui jouait dans ce spot. Et puis du jour au lendemain, bonne pioche pour EDF qui avait prévu le coup, Estanguet est remplacé par Yannick Agnel et Camille Muffat, champions olympiques de natation à Londres. C’est quand même bien foutu.
Mais les premiers à mettre constamment une bûche dans la cheminée ce sont les médias, radios (RMC en tête) et télévisions. Alors je sais que le chauvinisme est sans doute la chose la mieux partagée au monde et que dans beaucoup de pays c’est la même chose mais cette propension à ne voir les Jeux Olympique uniquement par le prisme des résultats français, c’est une chose qui m’énerve profondément ! Les Jeux Olympiques sont l’occasion de célébrer le sport dans son ensemble et surtout de faire la lumière sur des disciplines dont on ne parle jamais. Cela pourrait être une formidable opportunité de promouvoir le tir à l’arc, l’équitation (même si on ne doit pas jouer avec la nourriture), l’aviron, le badminton que sais-je encore. Mais non, on ne s’intéresse qu’au passage du Français. « Ah on vous coupe Michel, on va au bassin d’aviron où le deux de couple français dispute sa première course… Les Français terminent quatrième et sont donc éliminés, on part tout de suite à l’escrime. Kevin Pichard affronte un Hongrois, ah non c’est un Polonais, en fin c’est pareil. Ah la la Kevin a perdu, encore un espoir de médaille qui s’envole. Mais restez avec nous après la pause on retrouve Valérie Fleury qui va disputer son huitième de finale de tir à l’arc contre une Coréenne et Johann Durand au cyclisme sur piste, nous l’aurons notre Marseillaise avant ce soir ! ». Ce qui est important ce n’est pas le sport en lui-même mais la médaille, et de préférence en or pour pouvoir bien figurer dans le tableau des médailles dont on nous a rabattu les oreilles du matin au soir pendant quinze jours. Et pour parfaire le spectacle, les performances athlétiques étaient couplées de séquence émotion avec la famille du sportif et/ou les supporters massés devant un écran qui exultaient à la moindre occasion. Lorsque Florent Manaudou dispute sa finale du 50 mètres nage libre, l’écran est divisé en deux. D’un côté on voit sa course, de l’autre sa sœur Laure l’encourage en gros plan.
L’émotion prime une fois de plus sur l’action. Comme d’habitude c’est vendeur et ça marche puisque les foules réagissent avec hystérie à la victoire. Peu importe le sport, peu importe l’athlète, à partir du moment où il y a un maillot de l’équipe de France c’est forcément fantastique, historique, fabuleux. Celui qui gagne une médaille devient un modèle, un héros, même si la veille il ou elle était un ou une inconnue et que personne ne se souciait de son parcours. Céline Goberville a remporté la première médaille française de ces Jeux Olympiques. Elle a terminé 2ème au tir au pistolet à 10 mètres. Bravo à elle. Elle est devenue l’espace de quelques heures une vedette jusqu’à ce que les nageurs commencent leur moisson de médailles, notamment le relais 4 X 100 mètres hommes et Camille Muffat. Et Céline Goberville, seulement médaille d’argent, est retournée immédiatement dans l’anonymat. A la fin de la première journée, la France trônait fièrement à la troisième place du classement des médailles et le coq pouvait se mettre à chanter. J’entendais les commentaires des journalistes et des auditeurs fanfaronnant sur la valeur supposée de l’équipe de France de natation, la meilleure du monde sans aucun doute. Sept jours plus tard, la France totalisait 7 médailles dont 4 d’or, ce qui est très bien par rapport à l’histoire de cette discipline, très loin derrière les 31 médailles dont 16 d’or des Américains. J’aurais plutôt pensé qu’à la lumière de ces résultats les Etats-Unis avaient la meilleure équipe de natation du monde mais passons. Faisant partie du club de Nice, Agnel et Muffat ont eu droit à une réception sur la Promenade des Anglais. Un podium était prévu à cet effet, sur lequel n’a pas oublié de monter Christian Estrosi, député-maire de Nice, trop heureux de récupérer un peu de la gloire obtenue par les nageurs. Yannick Agnel et Camille Muffat était bien sûr heureux que tous ces gens viennent les féliciter mais Camille Muffat n’a toutefois pas caché au journaliste venu l’interviewer son étonnement vis-à-vis de cet attroupement. Le sous-entendu était très clair : aujourd’hui tout le monde se gargarise de nos exploits, alors que d’habitude personne ne s’intéresse à ce que l’on fait.
A chaque succès des athlètes français on nous montrait une foule bleu blanc rouge hurlant en rangs serrés, maquillée et agitant moult bannières tricolores. Lorsqu’un de nos sportifs n’atteint pas l’objectif espéré, l’ambiance devient plus sombre, la maman est triste, le commentateur a des trémolos dans la voix, il ne manque plus que l’Adagio d’Albinoni et le cercueil de Youri Andropov. Bientôt on nous mettra en incrustation : applaudissez, chantez, faîtes la tête… je dois être un mauvais Français puisque la médaille d’or de Tony Estanguet, pourtant historique puisque sa troisième, m’a provoqué moins d’émotion (au sens large du terme) que le match de tir à l’arc entre un Fidjien et un Coréen. N’y voyez pas un sarcasme de ma part envers le tir à l’arc, c’était vraiment chouette les compétitions de tir à l’arc, surtout grâce aux dispositifs de France Télévisions et Eurosport permettant de suivre toutes les compétitions juste avec le son d’ambiance. Tony Estanguet est sans aucun doute un sportif d’exception mais le canoë ça ne m’intéresse pas du tout d’habitude, et je vous rappelle qu’il y a peu j’aurais été incapable de mettre son visage sur son nom, donc je n’ai aucune raison de m’enthousiasmer en raison de sa médaille d’or juste parce qu’Estanguet et moi on a un passeport français en commun. Vous allez me dire, le tir à l’arc d’habitude je m’en fous aussi. Vous avez raison, d’ailleurs je n’ai même pas suivi la fin du tournoi, mais c’est juste que sur le moment j’ai trouvé ça sympa, pas de quoi non plus grimper au rideau.
A force d’entendre les commentateurs de tous poils, j’en arrivais même à souhaiter que les Français perdent juste pour qu’ils se taisent. Le coup de grâce m’ayant été donné par un journaliste de RMC beuglant lorsque Teddy Riner a remporté son combat final : « Il l’a fait ! Teddy Riner est champion olympique, il est invincible… C’est ça la France ! ». La France serait donc un pays invincible peuplé de colosses mesurant plus de deux mètres et pesant 130 kilos. Et après on va encore se foutre de la gueule de la Corée du Nord ?
Les Jeux Olympiques de Londres sont donc terminés et même si j’aime le sport en général, c’est un énorme soulagement. J’aurais aimé qu’on me parle de sport, qu’on me raconte de belles histoires à propos de sportifs, Français ou pas, qu’on me transmette quelque chose, mais non. A quelques exceptions près, je n’ai entendu parler que de fierté nationale, de résultats franco-français (Untel a fini cinquième, on ne saura jamais qui a gagné), ou de désillusions nationales, je n’ai vu que des gens béatifier des gens dont ils ne soupçonnaient même pas l’existence la veille et d’ignorer complètement des sportifs qui avaient le tort de terminer seulement sixième.
Lorsque Pierre de Coubertin pensait en réinstaurant les jeux olympiques que l’important c’était de participer, aujourd’hui seule la victoire importe. Le sport, quel qu’il soit, véhicule énormément de choses positives, mais plus on avance dans le temps plus on est en train de le transformer en un monstre parce qu’on a oublié, ou bien on ne sait pas, qu’en sport la victoire est à 99,9999% du temps un accident de parcours, dans le sens où il y a des centaines de millions de gens qui font du sport mais seulement 302 médailles d’or au Jeux Olympiques.