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23 mai 2013

Quart d'heure de gloire

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     Le 10 mars 1997, au cours d’un brainstorming au sein de la société de production Endemol, quelqu’un a eu une idée qui va bouleverser le monde. S’inspirant du roman 1984 de George Orwell, un nouveau type de jeu va être inventé. On l’appellera Big Brother dans de nombreux pays, Loft Sory en France. Vous connaissez tous le principe, je ne vais donc pas vous le rappeler. Tous ceux qui sont majeurs aujourd’hui se souviennent de la ferveur et l’engouement qu’a provoqué Loft Story en débarquant sur M6 en 2001. Moi-même, pourtant très peu téléphage et carrément réfractaire à ce genre de programmes, j’ai suivi attentivement pendant des semaines les aventures de Loana, Jean Edouard, Steevie, Aziz, Kenza et les autres. Pour l’anecdote c’est au cours d’un des primes de Loft Sory que Jean-Claude Van Damme a révélé aux yeux de la France entière ses talents de philosophe. Mais revenons à nos moutons. Ce premier Loft Story avait pour lui l’immense qualité d’être le premier dans son genre et incarnait une vraie nouveauté. Les candidats éliminés n’avaient vraiment aucune idée de la popularité de l’émission et devenait de vraies vedettes dès leur élimination du jeu. On leur proposait des contrats publicitaires, de devenir animateurs télé, on leur a fait enregistrer des disques, et si mes souvenirs sont bons, ils ont même monté les marches à Cannes (symbole glamour ultime de la starification, enfin selon les codes des médias). Loana est devenue une icône pour deux raisons assez simples : primo elle était blonde et pas trop mal foutue, deuxio elle avait baisé dans la piscine. Rien de plus. La porte venait de s’ouvrir et elle ne se refermerait plus. De Loana à Nabila rien n’a vraiment changé. Nabila est aujourd’hui un phénomène parce qu’elle a des gros (faux) seins et qu’elle n’a pas inventé l’eau chaude, pour être polie.

     Heureusement pour nous, ces célébrités font le devant de la scène pendant quelques mois, le temps qu’une autre émission démarre avec son lot de nouvelles vedettes en puissance.  En revanche, la descente peut être brutale pour les principaux intéressés. Loana a connu bien des déboires de santé (là encore doux euphémisme) et au moins un ex-candidat s’est suicidé par la suite. Ce qui n’empêche pas année après année de voir arriver de plus en plus de candidats à la célébrité, tels des moustiques attirés par la lumières. Ils ne devraient pas oublier que bon nombre d’insectes finissent grillés contre la lampe.

     Mais il n’y a pas que la télé qui fabrique ce phénomène poussant de plus en plus de gens à vouloir devenir célèbre. Internet a fait exploser cette envie auprès des jeunes. Il est important de remarquer que les générations précédentes voulaient devenir pompier, médecin, maîtresse d’école, vétérinaire, explorateur ou même sportif de haut niveau, alors que maintenant, la profession la plus à la mode c’est « être connu ».  On ne rêve plus d’avoir un talent ou une utilité, non on veut être connu. Pour schématiser, le modèle à suivre ce serait Paris Hilton. Réussir sa vie, ce serait ne rien faire, n’avoir aucun talent et être riche, ou en tout cas avoir une vie de millionnaire. Cette transformation de notre société ne serait pas si inquiétante (affligeante ?) si elle n’avait pas amené avec elle son lot de perversité et de violence.

     La multiplication des médias a engendré une escalade dans le sensationnalisme, et la célébrité s’acquiert à grand renforts de surenchères. Ça passe par les sextapes (pas bien grave en soi), les combats de rues, les snuffmovies (coucou Luka Magnotta), les suicides mis en scène sur le net (ou dans les lieux publics mais j’y reviendrai),  ou les vidéos montrant de manière très crue (et donc violentes) certains évènements. Alors il faut bien sûr différencier ce qui relève de l’information et du message politique, et de la recherche de la gloire éphémère. Même si bien sûr on ne peut pas comparer les méthodes d’une bloggeuse mode sur Youtube et le dépeceur de Montréal, la finalité est la même. Etre connu, devenir une vedette. Lorsqu’un homme va se suicider dans une école, c’est plus pour mettre en scène sa propre mort dans le but d’y récolter un peu de gloire posthume. Aller se foutre une balle dans la bouche en plein cœur de Notre Dame, filmer une sévère répression en Syrie, c’est d’abord pour faire passer un message, pas pour devenir une starlette.

     L’avancée technologique des smartphones a transformé nos vieux portables en véritables caméras et appareils photos. On ne vit plus l’évènement pleinement, on y assiste par procuration derrière l’écran de son portable. L’important n’est plus de profiter d’un concert, d’un match de foot, de ses vacances, d’une soirée entre amis, mais de dire « j’étais là ». Sous entendu, pas vous bande de nazes, adorez moi je suis une star.  Grace à Tweeter, Youtube et Instagram tout le monde peut se prendre pour Albert Londres, Spielberg ou  David Hamilton, et surtout croire qu’il en a le talent.

     Hier à Londres, deux hommes en ont massacré un troisième, en pleine rue et en plein jour. Une véritable boucherie, ils y sont allés au couteau et à la machette. Le pauvre malheureux a été éventré, décapité, une horreur. Mais le pire, à mon sens, et pourtant on est déjà à fond dans le sordide, survient après. Les deux meurtriers haranguent les passants afin que ceux-ci les filment avec leur portable. C’est ainsi que ce matin, sur ITélé, on pouvait voir un homme, les mains ensanglantés, une machette à la main, revendiquer son geste et expliquer ses motivations. Il avait l’air assez calme, déterminé, son discours semblait avoir du sens, on peut bien sûr être en total désaccord avec ses motivations et convictions, mais je veux dire, ce n’est pas parce qu’on est un terroriste qu’on est fou. Que cet homme veuille faire passer son message c’est on ne peut plus logique puisque son crime avait une connotation idéologique, ça je le comprends tout à fait. Mais qu’un quidam ait filmé ce meurtrier avec son portable je trouve ça dingue. A la limite elle est là, la folie. Beaucoup plus que dans le fait d’étriper un type à mains nues. Je ne sais pas pour vous, mais si en marchant dans la rue, je tombe sur deux types qui en tuent un autre à coups de machettes, je prends d’abord mes jambes à mon coup, et ensuite je préviens les flics. Je ne suis pas journaliste, je ne reste pas dans le coin à filmer la scène. Et encore moins les revendications du meurtrier armé de sa machette et les mains pleines de sang de la victime. Pourquoi cette personne a filmé ce type si ce n’est pas pour récupérer un peu de gloire, pour pouvoir dire « t’as vu, j’y étais, je mérite d’être connu » ?

     Big Brother a ouvert la boîte de Pandore en offrant la possibilité à des gens, qui ne gagnaient pas à être connus, de devenir des vedettes. Avant ce jeu, les 99% des célébrités, je ne parle pas des héritiers, faisaient quelque chose, que nous apprécions ou non leur talent, ils avaient fait quelque chose pour accéder à ce statut.  Aujourd’hui ont mis le pied dans la porte des gens qui ne font rien, et pire que ça, sont reconnus plus pour leur incompétence justement (ne pas savoir quand a eu lieu une guerre mondiale par exemple), que pour un savoir-faire. Signe annoncé de la décadence de notre société ou accession du prolétariat à la noblesse du vedettariat ? Vous avez trois heures. En attendant je vais tenter de créer le buzz en me petitsuissidant sur Youtube.

 

 

 



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Commentaires
Z
Je te rejoins tout à fait, les gens filment mais à aucun moment ne vont penser à apporter leur secours aux blessés, tout le monde fait les beaux devant son portable. Il faut dire où on était, avec qui, à quelle heure, ce qu'on a mangé. C'est trop. Je ne suis pas vieille quoique sûrement trop pour trouver cela excitant. <br /> <br /> Le pire, à mon sens (peut-être parce que je suis une femme) sont les dérives fimiques liées au sexe... il y en a de plus en plus des jeunes femmes qui se font violées et se retrouvent sur internet ou des femmes filmées à leur insu. Cela montre deux choses : un, la banalisation de la violence, deux, cet incroyable besoin de passer à la tête, de se mettre en scène. C'est à la fois un problème collectif, notamment avec les médias qui devraient réguler mais qui cautionnent et un problème éducatif avec des parents ultra permissifs avec les nouvelles technologies.
V
Un peu bizarre que d'un côté, t'en appelles à l'instinct de survie pour fuir devant un mec qui récitait sa litanie, je le rappelle (donc cible clairement identifiée) et que tu fasses références à l'intellect pour le côté secouriste. Je ne pense pas que ce soit si clairement dissocié.<br /> <br /> Ma misérable expérience en matière de peur se résume à : on ne sait clairement pas de quoi le corps est capable quand on est dans une situation totalement inconnue avec menace. C'est la crainte en SD et certains arts martiaux avec les 3F "freeze, flee and Fight". Tu peux t'entrainer des décennies, si t'as jamais connu la peur, ça sert à rien.<br /> <br /> Cela dit, bien sûr, je me fais un peu l'avocat du diable parce que je sens bien que je serais tellement flippée que je serais bien incapable de brandir mon I-phone que je n'ai pas pour filmer et effectivement, peut-on voir du côté du sensationnalisme et du voyeurisme des gens anesthésiés pour imaginer un truc pareil.<br /> <br /> Mais pas que.
C
J'entends bien tes arguments, mais un type, un peu halluciné, qui se pointe devant toi avec les mains pleines de sang et portant une machette et un couteau ayant manifestement servis, ça envoie d'abord un signal de gros danger. Avant même que le tueur ait désigné sa victime comme étant militaire. Et pourtant les passants au lieu de partir en courant, filme.<br /> <br /> Plus tard j'ai lu que deux femmes avaient discuté avec les deux tueurs pour les calmer, s'étaient occupées de la victime. C'est tout aussi inconscient (ou très courageux), mais ça relève d'une autre démarche intellectuelle à mon sens.
V
Mouais, y a un peu de désinformation dans ton billet, tu veux quand même orienter la réaction des gens.<br /> <br /> Si on parle bien du mec qui a tué le militaire, il semblerait qu'une voiture ait fait le plus gros du travail en le renversant. Le premier effet kisscool est donc les gens qui s'arrêtent devant ce qu'ils croient être un accident (ce que je ne comprends déjà pas au demeurant, certes). De plus, avec un cinglé (si si, le mec était apparemment cinglé, avec un bon passif de fumeur de cannabis et un matraquage religieux en amont) désignant clairement sa victime (un militaire), les gens ont pu donc se sentir protégés, en tant que civils ; assez banal comme comportement ; si quelqu'un est menacé mais qu'il a quelque chose de clairement caractéristique que nous n'avons pas, nous ne nous sentons pas menacés. Flippés, peut-être, mais pas menacés comme tu sembles le supposer. Ensuite, on peut aussi compter sur le fameux décalage du temps dans la réaction appropriée (le même qui fait manquer une réponse cinglante à une vanne et qui nous fait dire après "j'aurais du dire ça"), on met du temps à "comprendre", si si.<br /> <br /> Bref, tout ceci n'excuse rien mais forme un ensemble d'hypothèses permettant de ne pas tout à fait tomber dans la facilité de la réaction épidermique quand on juge à froid dans son canap'.
C
"On se souviendra<br /> <br /> De ceux qui commettent un crime<br /> <br /> Un jour<br /> <br /> De tous ces chasseurs de primes<br /> <br /> Oh non, non pas de sa vie<br /> <br /> Tombée dans l'oubli<br /> <br /> Des villes sans mémoire<br /> <br /> Qui se souviendra ?<br /> <br /> De ceux qui ont une histoire<br /> <br /> D'un jour..."<br /> <br /> <br /> <br /> Avant Tweeter, Youtube et Instagram, certains gravaient leur nom sur un tronc d'arbre ou signaient leur passage dans les toilettes. La nature humaine ne change pas, c'est juste la technologie qui leur permet une plus grande audience. Une lutte absurde contre la mort, contre l'oubli, contre l'inanité de l'existence.
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