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Textes Blog & Rock and Roll
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21 août 2010

Pomme de terre, nouvelle (fin)

- Il a quel âge votre mari ?
- Cinquante ans l’an prochain, me répondit-elle.
- Cinquante ?
- Oui cinquante.
- Hé ben…Votre père vous manque à ce point ?
- Mon père … ?
- Oui, vous avez quoi… j’en profitais pour la reluquer de haut en bas. Une petite trentaine tout au plus et vous êtes mariée à un type qui pourrait être votre père.
Elle se mit à sourire
- Charmeur va, j’ai trente neuf ans.
- Ah…Mais dîtes moi à cet âge là, la sommité elle ne passerait pas tout son temps en robe de chambre ?
- Eh bien, soupira-t-elle, certes on sort moins qu’avant, nous ne refaisons plus le monde tous les deux jours mais notre complicité est telle que nous n’avons pas besoin de nous parler pour nous comprendre.
- Très élégant dîtes moi, rétorquai-je.
- Elégant ?
- Oui pour dire que vous vous emmerdez avec lui et que vous ne vous parlez plus, c’est très élégant.
- Mais non pas du tout, ce n’est pas du tout ça !
- Ah oui et qu’est ce qu’une ravissante femme comme vous fait donc enterrée à Limoges ? Vous habitiez à Paris, d’ailleurs vous y travaillez encore, vous viviez la grande vie, Monsieur vous emmenait partout, tellement ravie de montrer sa si jolie jeune épouse, il exhibait à qui voulait la voir sa petite poupée. Et puis un jour il en a eu marre des lumières de la ville, marre de se comporter comme un enfant voulant prouver aux autres gamins de la cour d’école qu’il avait le plus beau jouet, alors il est reparti dans sa Province pour vivre une vie paisible de notable à Limoges. A Paris, hormis ses amis et ses collègues, personne ne le connaissait, mais là bas Monsieur doit être une sorte de baron sans lequel il est impossible d’inaugurer la moindre bibliothèque ou d’honorer les morts pour la patrie, sans oublier la présence indispensable au cocktail de charité de Madame le Maire avec sa bobine en photo dans le journal local.
- Mais…non…ce n’est pas du tout ça, bafouilla-t-elle.
- Camille, enfin, bien sûr que c’est ça ! C’est écrit sur votre visage. Vous auriez aimé être une femme du monde, faire partie aussi de ce putain de gratin. Mais aujourd’hui vous en avez gros sur la patate. Vous vous tapez des allers retours Limoges Paris en vous abrutissant de magazines féminins qui vous ramènent dix, quinze ans en arrière, à cette époque où vous aviez des rêves plein la tête.    
- Fabrice, vous devenez très désagréable, se reprit-elle. Et puis vous vous êtes regardés ? Vous êtes pathétique, mon pauvre. Vous venez me faire la morale sur ma vie conjugale alors que vous en êtes réduit à draguer n’importe qui dans un train qui va dans le trou du cul du monde.
- C’est bien déjà vous admettez que Limoges c’est…
- C’est là où je vis.
- C’est surtout là ou votre mari a décidé de vivre.
     J’ai sans doute été trop loin, mais vous savez ce que c’est, quand on n’a rien à perdre qu’on a tendance à s’emballer un peu. D’ailleurs j’ai pris une gifle. C’était la première fois qu’une femme me giflait. Il aura fallu que ce soit une parfaite inconnue qui inaugurât la série. Je me suis frotté la joue, j’ai tourné ma tête vers Camille. Je ne voyais que sa nuque, son regard était fixé vers la vitre opposée. Nous sommes restés un bon quart d’heure ainsi, quasiment à nous tourner le dos alors que nous étions assis l’un à coté de l’autre. Je ne pouvais m’empêcher de penser que cette Camille était formidable : il ne lui avait fallu qu’une demi-heure pour s’apercevoir que j’étais un sale type, un raté. Puis j’ai senti un petit poing taper mon biceps gauche.
- Fabrice, vous voulez couchez avec moi ?
     J’en suis resté coi. Ses yeux boursoufflés trahissaient des larmes récentes et abondantes. Elle m’avait foutu une baffe et c’est elle qui avait pleuré. Décidément je ne comprenais rien aux femmes.
- Hein ?!
- Personne ne m’attend à la gare, il doit bien y avoir un hôtel pas loin.
     Totalement interdit, je ne laissais échapper aucun son de ma bouche.
- Quoi ? Ne faîtes pas l’innocent, je sais très bien que vous voulez me sauter, c’est bien pour ça que vous m’avez accostée non ?
- Eh bien…non… enfin si… à la base si bien sûr, balbutiai-je.
- Mais…
- Mais…
- Mais vous n’avez plus envie c’est ça ?
- Ben…

     Merde qu’est ce que j’étais en train de faire ? Cette fille était canon, elle avait de la conversation, du caractère, avait même fait preuve d’humour, je la trouvais formidable. Et voilà qu’elle me proposait de m’envoyer en l’air dès la descente du train. Il m’était déjà arrivé de ramer beaucoup plus que ça pour ramener une fille pas très jolie dans mon lit. Et comme un con, je faisais ma mijaurée. Mais quel con je vous jure. Bien sûr que je voulais coucher avec elle.
- C’est vous qui avez raison Fabrice. A quoi cela servirait de nous ébattre dans un hôtel minable. Vous n’êtes pas si minable que ça en fin de compte.
     Caramba, encore raté.
- Enfin, je veux dire, si bien sûr vous êtes un pauvre type, ajouta-t-elle, un handicapé sentimental. Sûrement très instable, vous manquez très clairement de maturité mais vous avez un avantage sur moi. Au moins vous êtes lucide. Vous savez que vous avez un problème.

     Elle se remit à pleurer en triturant son magazine. J’ai toujours été nul dans ces circonstances là. Dans ces cas là ma tactique c’est courage fuyons ! Bon pour être honnête, quand une femme pleure il ya de grandes chances que j’en sois la cause, parce que j’ai fait ou dit quelque chose qu’il ne fallait pas, ou parce que je n’ai pas fait ou pas dit quelque chose que j’aurais dû. C’était ça le grand drame de ma vie. Je pensais d’abord à moi sans me mettre à la place des autres. Et la seule fois où j’ai quelques secondes cesser d’être égoïste, ce n’est rien quand on y pense, la seule fois où je n’ai pas pensé avec mon slip, j’ai raté une opportunité formidable. Oui parce que maintenant il fallait l’accepter, avec Camille c’était cuit.
     Le conducteur du train nous annonça que nous arrivions en gare de Limoges. Je téléphonais à un ami qui ne savait pas qu’il m’attendait pour le soir même. Maintenant que j’étais là il ne pouvait plus me refuser l’hospitalité. Pourquoi j’étais parti à Limoges ? Sans doute parce que c’était une ville où je ne connaissais pas de femme. Je voulais sans doute recommencer à zéro, tenter de réussir cette fois. Camille m’a démontré que j’étais voué à l’échec si je ne changeais pas d’attitude. Mais peut-on changer ? C’est ça la vraie question. Etais-je fait pour la vie de couple ? N’étais je qu’un pirate sans foi ni loi, plus intéressé par la quête du trésor que par le trésor lui-même.
     Le train s’arrêta, Camille se leva, machinalement je lui emboîtai le pas et descendit du train.
- Camille, votre valise attendez !
     Elle se retourna vers moi en souriant maladroitement. Je remontai dans ce foutu train, bousculai les gens qui voulait sortir. J’étais à contre courant mais je me faufilais jusqu'à l’endroit où nous étions assis. Rien. Le sac de voyages avait disparu. Je balayais le wagon du regard. Je vis Camille me faire un signe de la main. Je répondis d’un air qui voulait dire « ne vous inquiétez pas j’ai la situation en main je vous ramène votre valise ». Et puis le sac m’est apparu, dans la main d’une petite fille de dix ans tout au plus.
- Camille ne t’éloigne pas de nous, s’il te plaît. Nous risquons de te perdre dans la foule, et qu’est ce qu’on deviendrait sans notre petite fille.

     Je laissais cette famille passer devant moi. Je descendis hagard. Je vis la jolie brune au loin. Arrivée au bout du quai, elle disparut dans un escalier. Mes jambes demandaient au cerveau s’il fallait qu’elles se mettent en branle pour la rattraper. Je ne bougeais pas. Je sentais le vent m’envahir. Immobile je me disais qu’elle était chouette Camille, même si elle ne s’appelait pas ainsi. Un sourire mélancolique vint prendre possession de moi, j’imaginais ce qu’il aurait pu advenir si j’avais rencontré cette fille ailleurs, en d’autres temps, et puis le naturel reprit le dessus, mentalement je me mis à visualiser cette chambre d’hôtel donnant sur la gare.

     Quel gâchis.

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Commentaires
C
Merci Mélo
M
J'ai bien aimé ta nouvelle.
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