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Textes Blog & Rock and Roll
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19 novembre 2010

Now, elle. (1ère partie)

Jocelyne ne savait pas si elle devait en sourire ou s’en mordre les lèvres. A peine entrée dans le bus, elle remarqua qu’une jeune fille, qui probablement avait à peine le tiers de son âge, s’était levée en la fixant du regard. La demoiselle lui laissa son siège en lui proposant de s’asseoir.  Alors ça y est, pensa Jocelyne, elle était devenue une vieille peau grabataire qui faisait pitié si elle se retrouvait debout dans un bus. En pareil cas, la bienséance ordonnait de remercier son bienfaiteur et de s’asseoir en souriant le moins maladroitement possible. Elle s’exécuta, sans un sourire ni un merci. La jeune fille toisa Jocelyne un moment du regard puis s’en alla vers le milieu du bus en maudissant cette vieille bique avec laquelle elle avait voulu être gentille.

Jocelyne regardait défiler la ville par la fenêtre. La pénombre envahissait la rue et les vitrines illuminées s’alignaient les unes après les autres. Sur le trottoir les passants semblaient déterminés dans leur démarche. On ne savait pas où ils allaient mais ils avaient l’air pressés d’y aller. Elle rentrait à la maison après une journée de travail. Hier à la même heure elle était dans ce même bus, il y a fort à parier que le prochain jour où elle travaillera elle y sera aussi. Encore que, Jocelyne n’avait pas forcément envie de recroiser  cette petite pimbêche qui l’avait prise pour une grand-mère impotente. Elle appuya machinalement sur le bouton pour signifier au chauffeur qu’elle allait descendre. Les portes du bus s’ouvrirent, elle sentit le froid s’engouffrer et resserra son col avant de se jeter sur le trottoir. Un instant elle resta figée au pied du bus. Elle prit le temps de respirer et de lever la tête vers le ciel. Elle ne voyait aucune étoile mais des lumières avaient envahi la ville. Des guirlandes électriques d’un gout douteux s’étendaient au dessus de la chaussée. Jocelyne se souvint alors de la date du jour : 24 décembre. Elle souffla en secouant la tête et remonta lentement la rue de la République, puis tourna sur la droite juste après la boulangerie. Ce n’est qu’à ce moment qu’elle prêta plus d’attention aux immeubles du quartier. Les fenêtres étaient décorées de rouge et de blanc. Quelques Père Noel pendaient le long des bâtiments et on pouvait parfois apercevoir des guirlandes en papier et des ballons dans les appartements.

En poussant la porte d’entrée de son immeuble, elle vit sa gardienne parlant avec un enfant. Jocelyne habitait ici depuis quinze ans, y vivait seul depuis cinq. Elle passa nonchalamment dans le hall de l’entrée, jetant un coup d’œil furtif vers sa boite aux lettres. Tant que ça ne débordait pas elle considérait que ça ne valait pas la peine de retirer le courrier.

-  Bonjour Madame Clément, fit la gardienne. Vous ne prenez pas votre courrier ?

-  Bonsoir, répondit Jocelyne en se retournant. Eh non pas ce soir, fit elle en prenant une moue désolée.

-  Vous devriez quand même jeter un coup d’œil Madame Clément, vous avez sans doute une carte de vœux qui vous attend.

-  Une… ?

-  Une carte de voeux Madame Clément ! s’écria la gardienne en allongeant plus que de raison la dernière syllabe. Vous savez bien quel jour nous sommes quand même ! Regardez c’est mon petit fils, Victor. Dis bonjour à la dame Victor.

-  Bonjour Madame.

-  J’attends ses parents qui vont venir réveillonner à la maison. Ça va être la fête ce soir.

-  Ah… soupira Jocelyne.

-  Vous faîtes quoi ce soir Madame Clément ?

Jocelyne se fît la réflexion que la question de la gardienne était très révélatrice. Il y avait forcément quelque chose au programme ce soir. Elle sentait sur le visage de sa gardienne un enthousiasme béat et elle ne se sentait pas le cœur de briser cet optimisme en lui avouant qu’elle n’avait rien de prévu. Pas par sympathie non, juste qu’elle n’avait pas envie de palabrer pendant des heures avec une femme qu’elle ne connaissait pas.

-  Je ne sais pas encore, dit Jocelyne en évitant le regard de son interlocutrice.

-  Comment ça vous n’en savez rien ? Mais il est déjà dix-sept heures. On ne prépare pas Noël à la dernière minute ! Moi ça fait trois mois que j’organise mon réveillon. On met les petits plats dans les grands vous savez, rien n’est trop beau pour faire plaisir à notre petit Victor.

-  Trois mois ? C’est sans doute pour ça que l’ampoule sur le pallier du troisième n’a pas été changée.

-  Pardon ? La gardienne sentit une pointe d’ironie dans la remarque de Jocelyne.

-  Mais non Madame…, un blanc s’installa.

-  Lenoir !

-  Oui c’est ça Lenoir, je vous taquine Madame Lenoir. Pour changer de sujet et éviter de froisser sa gardienne Jocelyne ajouta : en fait je pense que ce soir, je vais prendre une bonne douche, manger et lire un bon livre.

-  Vous êtes seule ce soir, Madame Clément ? s’écria Madame Lenoir en prenant son air le plus dépressif pour monter sa pitié envers Jocelyne.

-  Ben…oui. D’ailleurs ça tombe bien, on lit rarement à plusieurs.

-  Mais c’est triste d’être seul un soir de Noël, ça me fait de la peine de vous savoir seule ce soir Madame Clément.

-  Et le 17 avril au soir ça vous fout le moral en l’air de savoir si je suis seule ou non ?

La gardienne marmonna quelque chose d’incompréhensible.

-  Non, évidement que ça ne vous fait rien Madame Lenoir. Et vous avez bien raison. Après tout le 17 avril, ce n’est rien qu’un jour comme les autres n’est ce pas ? Les gens peuvent crever dans leur coin, ça ne gâchera pas votre réveillon. Alors arrêtez avec vos bons sentiments, retournez fourrer votre dinde et ne m’emmerdez pas avec votre compassion factice. Jocelyne grimpa quelques marches, puis se retourna. Pas la peine d’être sympa en janvier, vous les aurez quand même vos étrennes.

Madame Lenoir était outrée et fît pivoter le petit Victor pour le ramener prestement dans la loge. Jocelyne faillit se prendre les pieds dans la première marche sur le pallier du troisième étage et se rattrapa à la rampe au dernier moment. Elle jura si fort et si vulgairement qu’elle s’en étonna elle-même. Arrivée devant sa porte elle plongea la main droite dans sa poche pour y trouver ses clefs. Au même moment son portable se mit à sonner. Elle dût poser son sac de la main gauche et fouiller dans son autre poche pour atteindre l’appareil. Quand elle vît le nom de la personne qui l’appelait, elle laissa sonner et ouvrit la porte. Elle retira ses chaussures avant même d’avoir refermé, accrocha son manteau à la patère, laissa choir son sac, alla doucement se jeter sur son canapé et resta un moment dans la pénombre. Elle fixait la fenêtre et le spectacle des lumières de la ville lui donnait l’occasion de vider son esprit. Jocelyne fermait les yeux et repensait à la conversation qu’elle venait d’avoir avec Madame Lenoir. Elle revoyait aussi la jeune fille lui laisser sa place dans le bus. Cela avait le don de l’énerver au plus haut point. Elle n’en pouvait plus de ces bons sentiments dictés par la morale commune. Qu’est ce qu’elle en avait à foutre de la vie de Madame Lenoir ? Elle ne la connaissait pas, juste bonjour-bonsoir au pied de l’escalier. Si Madame Lenoir habitait à 500 kilomètres d’ici et ne l’avait jamais rencontré, elle aurait la même importance dans sa vie. C'est-à-dire aucune. Alors qu’elle soit malade ou bien portante, pauvre ou riche, heureuse ou dans la détresse la plus totale, Jocelyne s’en contrefichait le plus royalement du monde. Que ce soit le 24 décembre ou le 17 avril.

Pour se calmer, elle se dirigea vers la salle de bains, se déshabilla et rentra dans sa baignoire. Tout en tirant le rideau en plastique, elle fît couler l’eau. Ses orteils se relevèrent au contact de la baignoire gelée.  L’eau devint enfin chaude et Jocelyne plaça sa tête sous le jet. Elle resta un long moment, les yeux fermés, de temps en temps elle passait les mains sur ses cheveux pour les écarter de son visage. Puis elle se retourna pour faire couler l’eau  le long de son dos. Son corps était réchauffé, son esprit un peu plus apaisé. La sonnerie du téléphone retentit. Pas question de sortir de cette douche chaude pour aller répondre. Au pire on lui laisserait un message si c’était important. Quinze bonnes minutes plus tard, Jocelyne sortit enfin de sa baignoire. La vapeur d’eau avait envahi la salle de bains. Elle passa sa main sur le miroir et se regarda dans la glace. A chaque fois c’était la même chose : elle essayait de se rappeler à quoi elle ressemblait il y a dix ans, vingt ans, ou quand elle était adolescente. Impossible. Jour après jour son cerveau imprimait une image d’elle qui effaçait celle de la veille. Pour se souvenir d’une femme fine, élancée et sans gras il fallait qu’elle regarde les vieilles photos d’antan. Etait-ce bien elle si souriante dans les albums de famille ou une inconnue qui aurait oublié ses vieilles photos avant de partir de cet appartement ?

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