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Textes Blog & Rock and Roll
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5 janvier 2011

Ecran plat (1ère partie)

Ma femme et moi, nous n’avions pas pu aller travailler. Alors nous sommes allés acheter une nouvelle télé. Elle tombait bien cette panne de train finalement. Il ne nous restait plus que dix jours pour nous mettre en conformité avec le règlement. Le commissaire culturel était venu nous rendre une visite, sans doute sur les conseils d’un voisin très scrupuleux, et il avait constaté que notre vieux poste ne fonctionnait plus. Il faut dire que, depuis que les rideaux étaient devenus proscrits à l’intérieur des appartements, il était très facile de voir ce qui se passait chez les autres. Manque de chance j’avais dû me faire repérer en train de lire trop longtemps. Les consignes étaient claires pourtant : pas plus d’une demi-heure par jour. Au-delà de ce délai nous pouvions être poursuivis pour « subversion et déviance morale ». Fort heureusement le flagrant délit n’ayant pu être constaté par la Brigade des Mœurs, le commissaire culturel s’est contenté de cette injonction à m’équiper comme la loi le prévoyait dans ce cas là.

Nous sommes donc partis au centre commercial, et, après avoir acheté deux trois choses dont nous n’avions pas besoin, mais nous permettant ainsi de faire tamponner notre carnet de consommation obligatoire, nous nous dirigeâmes vers le magasin d’électroménager. Un vendeur très souriant et d’une allure impeccable se dirigea vers nous pour nous renseigner.

-          Messieurs dames bonjour ! Bienvenue dans notre magasin, s’écria-t-il.

-          Bonjour, nous voudrions acheter un poste de télévision, répondis-je.

-  Ça tombe bien nous en vendons et nous vendons les meilleurs, me répondit-il avec un sourire satisfait de sa réplique.

-          Nous en voudrions un tout simple…

-  Oh mais attendez que je vous montre les tous derniers modèles ! Venez, venez. Alors là vous avez les écrans plats 3 D toute dernière générations. Mais bon cette technologie est dépassée.

-          Ça ira très bi…

-  Et là vous avez le rayon des écrans olfactifs, ne vous en faîtes pas, tout est bien au point maintenant, nos clients en sons ravis vous savez.

-          Ah…

-  Et là, bon d’accord il faut y mettre un peu plus cher, mais quand on aime on ne compte pas. Et je suis certain que ça fera plaisir à Madame. A ce moment là il se tourna vers ma femme. N’est-ce pas Madame ? Voyant qu’elle ne réagissait pas il revint vers moi. Donc ici vous avez les postes 3D, olfactifs et qui savent à l’avance ce que vous voulez regarder. Incroyable non ? On appelle ça les télévisions cognitives. Dépêchez vous de vous décider avant que nous n’en ayons plus. Ça part comme des petits pains !

-          C'est-à-dire…

-  Vous savez si vous avez des problèmes d’argent on peut toujours s’arranger, la maison peut vous offrir un crédit avec un taux défiant toute concurrence.

-  Non c’est pas ça mais bon nous on voudrait une télé toute simple, soupirai-je doucement, montrant une sorte de lassitude, presque une gêne d’être là.

-          Toute simple ?

-          Oui toute simple, dis-je en montrant l’injonction du commissaire culturel au vendeur.

-  Ah je vois, fît le vendeur avec un air de dégoût. Il leva les yeux au ciel, mit ses deux mains paumes ouvertes au niveau des épaules. Des intellectuels…Bon suivez moi, j’ai un modèle pour vous. Vous avez bien fait de me montrer votre papier. Pour les…gens comme vous…nous sommes obligés de vous fournir un modèle cognitif amélioré. Pas de télécommande. Vous n’avez qu’à le brancher et le poste s’occupe de tout.

Je restais muet, et nous avons suivis notre vendeur jusqu’à la caisse. Il nous donna une facture et nous indiqua l’heure à laquelle nous serions livrés. Au moment de partir il m’agrippa le bras et me dit tout bas à l’oreille.

-  Rentrez dans le droit chemin. J’ai un frère qui en est, tout comme vous. La honte de la famille. Si ça continue, on va être obligé de le faire enfermer vous savez. Il n’est pas raisonnable non plus. Franchement, à quoi ça sert tout ça ? Je veux dire qu’est ce qu’un livre peut nous apporter que la télé ne nous donne pas ? L’imagination ? Pouah une perte de temps et un passe temps de dégénéré. Enfin, vous faîtes comme vous voulez, vous ne pourrez pas dire que vous n’étiez pas prévenus.

Nous rentrâmes chez nous en voiture. Tout au long du trajet nous nous demandions si finalement le vendeur n’avait pas raison. Et si nous rentrions dans le rang ? Et si finalement nous faisons comme tout le monde ? Il suffisait juste de travailler et de se mettre devant la télé une fois notre labeur terminé. Rien de plus simple. Ne plus faire d’effort intellectuel pour se consacrer uniquement au développement de la société. A quoi bon s’évertuer à chercher un bonheur individuel, si la collectivité n’en tirait aucun profit ? Nous avons donc suivi les conseils du ministère du Bien Vivre. Sans prendre le temps de décharger de la voiture les babioles achetées au centre commercial, nous nous sommes installés dans notre canapé et nous avons attendu les livreurs. Oh, la tentation de prendre un livre en attendant fût bien forte, mais fidèle à notre nouvelle résolution, nous résistâmes. Bon, certes, nos esprits commençaient à se mettre en branle, à réfléchir une nouvelle fois au comportement à suivre. Mais nous sentions que même l’éventualité d’un choix était un concept bien trop subversif. Heureusement les livreurs sont arrivés et ont installé le fameux poste. Nous les avons remerciés et nous nous sommes posés sur le canapé. Un bel objet que cette télévision. Toute neuve, elle brillait de mille feux, sa couleur bleue détonnait un peu avec le reste de notre décoration mais nous nous promîmes de réaménager tout ça. Il nous suffirait d’acheter ces fameux magazines où le bon goût nous est fortement suggéré. Néanmoins, un vieux réflexe nous avait empêchés de brancher la télévision.  Alors on restait là comme deux abrutis sur ce canapé. Nous n’osions même pas parler de peur de nous mettre à philosopher. On savait bien que si par malheur on nous avait entendus depuis la cage d’escalier, nous prenions le risque d’être dénoncés à nouveau. La visite du commissaire culturel nous ayant déjà collé une étiquette dans le dos, il était inutile de se faire plus remarquer par les voisins.

Pour être sincère, on s’emmerdait. Alors on a branché le poste. Et ce fût pire. Des pubs, encore des pubs, toujours des pubs. Impossible de zapper puisque la télévision cognitive ne possédait pas de télécommande. Pourtant on voyait bien qu’on ne restait pas sur la même chaîne mais dès qu’une pause publicitaire était terminée, automatiquement nous retombions sur un autre tunnel de réclames. Depuis le temps que nous sommes conditionnés, la génétique humaine a dû s’adapter, et il a fallu que je me lève pour aller pisser. Une fois aux toilettes, le son du poste s’est arrêté. Puis j’entendis ma femme hurler et m’appeler. En revenant il y avait un visage inerte à l’écran. Un homme, cheveux rasé, portant un uniforme de la Brigade des Mœurs. Il se mit à nous parler.

-  Votre injonction vous soumet à une obligation de regarder nos programmes. Nous pouvons repérer vos mouvements et si le radar ne repère plus votre présence pendant un temps trop long, nous nous verrons dans l’obligation d’envoyer des agents pour vous interpeller. Bonne journée.

Le visage disparût derrière le logo du Ministère de la Morale. Ma femme et moi nous nous regardâmes complètement interdits. C’était donc vrai. Ils étaient capables de nous contrôler jusque chez nous. Alors je me suis réinstallé sur le canapé et je n’ai plus bougé. Nous regardions tout ce que la télé choisissait pour nous. Jeux, pubs, séries, pubs, films, pubs, musique, pubs, sport, pubs, informations, pubs, divertissement. Nous ne rations plus rien. Au début la nouveauté aiguisait ma curiosité. Et puis tout doucement l’ennui a pris le pas sur l’amusement. Il m’arrivait fréquemment de m’endormir, la bave aux lèvres, sur mon canapé. Mais le système avait un coup d’avance sur moi. Dès que j’avais le malheur de m’affaler, un son strident s’échappait du poste de télévision jusqu’à ce que je reprenne une position bien assise. Je ne pouvais aller me coucher seulement lorsque l’officier de la Brigade des Mœurs ne me l’autorisait. J’avais remarqué que jour après jour l’heure reculait, ce qui faisait que je dormais de moins en moins. J’allais travailler avec des cernes de six pieds de longs sous les yeux. Mon esprit marchait au ralenti, j’effectuais mon boulot de manière automatique. Oui Chef, bien Chef, merci Chef, je m’en occupe Chef, au revoir Chef.

(à suivre)

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Commentaires
M
il y a un petit air de 1984, non ?
C
Merci pour la correction (on a déjà dû te le dire non ?)<br /> <br /> Quand la réalité dépasse la fiction...
C
Les trois pubs juste en dessous de ton texte : <br /> <br /> Téléviseur écran plat<br /> Guide écran plat avec Que choisir Etudes et tests à 4,50 par mois. <br /> www.QueChoisir.org <br /> <br /> Ecran de projection<br /> mural, sur pieds, manuel ou motorisé. Guide d'achat <br /> www.technoconfort.com <br /> <br /> TV LCD Samsung 32" à -90%<br /> Achetez une TV LCD Samsung LE32C530 neuve jusqu'à 90% moins cher <br /> www.bidfun.fr/tv-lcd-samsung-32 <br /> <br /> Limite, ça fait peur du coup...<br /> <br /> (en passant, les rideaux sont proscrits plutôt que prescrits non ? ... poursuivits aussi)
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