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Textes Blog & Rock and Roll
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6 janvier 2011

Ecran plat (Fin)

Et puis un jour mon frigo s’est mis à déconner. Une histoire de résistance pétée ou je ne sais quoi. Enfin bref, du coup, il ne faisait plus assez froid à l’intérieur. Un yaourt avait tourné, je m’en suis aperçu un peu trop tard, pas de bol : gastro. Je suis allé voir le médecin qui m’a immédiatement fourni un arrêt de travail de trois jours. En rentrant de la consultation, dans un état assez déplorable, je me suis jeté directement au fond de mon lit, sans prendre le temps de poser mes affaires dans le salon. A dix-huit heures tapantes, la télévision s’est mise en marche. Après les premières minutes de pub réglementaires, j’entendis l’officier de la Brigade des Mœurs se manifester avec véhémence. Pas le choix il fallait que je me lève pour rejoindre mon canapé. Heureusement j’avais dormi presque toute la journée. Etant supposé être au travail, et mon arrêt de travail envoyé par le médecin à mon employeur n’ayant sans doute pas encore été enregistré par le Ministère du Travail, la télévision cognitive pensait que j’étais au bureau. D’habitude je finis à dix-sept heures, et donc je suis sensé être chez moi quarante-cinq minutes plus tard, c’est pour cette raison que le poste est programmé pour s’allumer à dix-huit heures. Après avoir entendu une nouvelle fois le rappel à la loi par l’officier qui habitait dans le poste, je me suis assis. On me proposait, m’imposait je devrais dire, un jeu où chaque candidat rivalisait pour paraître le plus enjoué, le plus réactif, le plus spectaculaire. Oh non ce n’était pas le but premier du jeu, il s’agissait en fait de répondre à des questions sur des vedettes, mais chacun voulait se mettre en avant pour devenir soi-même une vedette, du moins celle du jeu. Consternant. Et d’ailleurs je trouvais ça bizarre d’être consterné. D’habitude je m’enfilais ce programme sans broncher, mais, sans savoir pourquoi, j’étais consterné. L’émission durait une éternité, et plus ça allait et plus je sentais une chaleur monter en moi. Visiblement cette journée de sommeil avait réveillé quelque chose en mon for intérieur. Puis ce fût l’heure des informations. Le gros titre : Attention aux virus ! Et pendant dix minutes on nous expliquait que de plus en plus de personnes étaient malades ces derniers temps. Des gens qui se mouchent en novembre, la belle affaire… Puis un reportage sur un charmant village perdu au fin fond de l’Auvergne, un autre sur un couple de retraités en détresse qui a eu le malheur de voir son poste de télé exploser sans raison apparente. Une cellule psychologique avait été mise en place pour tous les habitants du quartier. Enfin on y voyait des policiers fiers de leur dernière prise : un camion transportait clandestinement des vieux livres. Les dealers projetaient de les distribuer près des écoles de la région parisienne. Les trois inculpés ont été condamnés immédiatement à vingt ans de travaux forcés. La morale était donc sauve. Un peu de sport, des nouvelles des stars, la météo et une pub pour finir.

Qu’est ce que j’avais appris au cours de cette dernière demi-heure ? Rien. Mais ça me faisait deux ou trois sujets de conversation pour le lendemain. J’étais à présent passablement énervé, je me suis levé, bien décidé à faire autre chose que de rester devant ce poste de malheur. Quelques minutes après, ça n’a pas loupé.

- Votre injonction vous soumet à une obligation de regarder nos programmes. Nous pouvons repérer vos mouvements et si le radar ne repère plus votre présence pendant un temps trop long, nous nous verrons dans l’obligation d’envoyer des agents pour vous interpeller. Bonne journée.

- Oooooooooh merde ! criai-je.

- Votre injonction vous soumet à une obligation de regarder nos programmes. Nous pouvons repérer vos mouvements et si le radar ne repère plus votre présence pendant un temps trop long, nous nous verrons dans l’obligation d’envoyer des agents pour vous interpeller. Bonne journée.

- Rien à foutre de ton injonction. Tu entends officier de mes deux, je n’ai pas envie de regarder toute cette merde. JE N’EN AI PAS ENVIE !

- La couleur du fond d’écran changea, le visage de l’officier se fît plus menaçant.

- Que vous en ayez envie ou non, vous DEVEZ obéir.

Je me suis retourné en tressaillant. Ils pouvaient donc m’entendre aussi ?!

- Asseyez-vous et regardez la suite de nos programmes, reprit l’officier.

- Tu devrais les écouter chéri, dit ma femme. Puis elle regarda l’écran. Excusez-le Monsieur l’Officier, mon mari est un peu malade ces derniers temps, ça doit être les médicaments qui le perturbent. Se retournant à nouveau vers moi et en tapotant le canapé. Allez viens t’asseoir à côté de moi, on va passer une bonne petite soirée devant la télé.

Alors je me suis rassis, bien sagement. Ce soir on avait droit au programme phare, toutes chaînes confondues : l’Appart’. Rien de nouveau sous le soleil, c’était une émission où on enfermait des gens dans un appartement tout en haut d’une tour. Des caméras partout bien évidement, et on laissait mariner dans leur jus les neuf candidats, sans aucune intervention extérieure, à part pour le ravitaillement bien sûr. Cela faisait deux ans que l’émission avait débuté. Chaque semaine on éliminait quelqu’un, chaque citoyen avait l’obligation de voter, soit par sms si on ne regardait pas le programme, soit via les écrans tactiles (il suffisait alors de toucher celui qu’on voulait voir partir). Deux ans donc que ça faisait un carton, faut dire qu’il s’en était passé des choses : un mort (officiellement une crise cardiaque), une naissance, quelques bagarres, ils avaient même osé introduire dans l’Appart’ un intellectuel ! Le pauvre, il a tenu deux jours avant de faire une tentative de suicide. C’est depuis ce jour-là qu’ils ont muré les fenêtres. Il m’était arrivé de tomber sur des images de l’Appart’ dans d’autres émissions mais je n’avais jamais regardé un épisode en entier. J’y ai alors vu neuf jeunes désœuvrés rivaliser de bêtise, d’attitudes outrancières uniquement dans le but de ne pas se faire éliminer par les téléspectateurs. Il faut dire que chaque semaine passée dans l’Appart rapportait cinq mille euros à chaque candidat. Lucas, la grande vedette, était enfermé depuis quinze mois. Imaginez le pactole qu’il avait déjà empoché. Je ne sais pas si l’enfermement rendait ces jeunes gens complètement infantiles, et donc ridicules, ou s’ils étaient déjà complètement cons à la base mais au bout de quinze minutes je ne supportais plus de les voir. Alors que je m’apprêtais à me redresser pour me lever à nouveau, ma femme mis son bras sur ma poitrine en me suppliant de ne pas bouger. La Brigade des Mœurs nous surveillait toujours, il ne fallait pas l’oublier. J’essayais alors de me calmer, mais j’ai fini par craquer lorsque deux… dindes, excusez moi du terme mais je n’ai pas d’autre mot pour qualifier des filles, décolorées cela va de soi, qui passent leur temps à glousser, lorsque deux dindes donc, se sont lancées dans une discussion éminemment savante sur les mérites comparés de leur accoutrement. Pourtant vu la quantité de tissus qu’elles portaient toutes les deux, une minute aurait largement suffit pour en faire le tour.

N’en pouvant plus et malgré les jérémiades de mon épouse, j’ai bondi hors du canapé et je me suis précipité sur ma télévision. Un grand coup de pied en plein milieu de l’écran a fait basculer le poste en arrière, puis je me suis saisi d’une chaise que j’ai détruite sur ce maudit appareil. Ma femme criait en mettant ses deux mains devant sa bouche, elle me traitait de fou, elle avait l’air terrorisée. Une fois mes nerfs un peu plus détendus, je m’affalais sur le canapé, les yeux hagards, le souffle court, les bras ballants le long du corps. Trente minutes plus tard j’étais pieds et poing liés, les yeux bandés, à l’arrière d’une fourgonnette noire.

C’est comme ça que je me suis retrouvé ici, dans une cellule de deux mètres sur trois avec pour seul meuble un lit inconfortable et un poste de télé allumé vingt-quatre heures sur vingt-quatre trois mètres au dessus de moi. J’en ai pris pour quinze ans, j’ai évité de peu les travaux forcés. J’aurais dû me souvenir de notre hymne national écrit par notre Seigneurie le Grand Emetteur : heureux les simples d’esprit car le royaume des yeux leur appartient.

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Commentaires
C
Je veux croire que les révoltés ont droit à leur part de paradis, je veux pouvoir penser que les briseurs de systèmes seront récompensés, je veux des héros magnifiques (et solitaires) s'élevant contre la lobotomisation des peuples, je veux de l'insoumis, de l'insurgé, du résistant...<br /> <br /> Putain, c'est de plus en plus dur de se réveiller chaque matin avec des envies de libertés... dans ce monde...
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