Prix d'interprétation

     On ne peut pas dire que le mouvement des Indignés me touche particulièrement. Pas que j’idolâtre le capitalisme, mais disons que je suis trop pragmatique pour vouloir changer le système. Il faut dire que je n’ai pas à me plaindre : j’ai un boulot assuré a priori jusque la retraite, un crédit immobilier supportable, de quoi me nourrir sans me priver tous les jours, de quoi profiter de temps en temps de loisirs divers et variés. Pourquoi voulez vous que j’ai envie que ça change? D’une manière générale, tout le monde a envie de consommer, d’acheter des objets, et de partir en vacances. Arrêtez de consommer et le système meurt. Et si le système meurt, nous sommes tous dans la merde. Bon certes je ne me fais pas d’illusions sur les dérives du capitalisme dont le but est de devenir toujours plus riche, quitte à rendre les pauvres encore plus pauvres. Même si, n’oubliez pas que le commerçant ne veut pas la ruine de son client. C’est bien pour ça que la Chine se porte au chevet de l’économie européenne. Aucune bonté d’âme là-dedans.

     Dimanche midi j’étais invité à manger, et par la même occasion, j’ai pu « profiter » de TF1. Bon déjà j’ai dû me coltiner Du Côté de Chez Vous, ce qui est sans doute le programme que j’exècre le plus à la télévision. On nous montre tous les jours depuis des années, entre la météo et le tiercé, des propriétés pas possibles, valant au moins plusieurs centaines de milliers d’euros, présentées par leurs propriétaires, satisfaits de montrer leur environnement domestique. Je n’ai rien contre les riches, si on m’en donnait l’occasion je ne refuserais pas de le devenir, vous non plus ne niez pas, mais j’estime qu’on devrait faire preuve d’un peu de décence et de retenue par les temps qui courent. Ok tu as une super baraque Machin, mais tu sais, les gens qui te regardent peuvent habiter dans des maisons beaucoup plus modestes voire même dans des HLM à la limite de la salubrité. Des HLM, qu’est ce que c’est ? Non laisse tomber Machin.

     Mais le pire est à venir. Juste après la fin de ce programme court, on nous balance un spot appelant à la solidarité, demandant notamment d’aider les mal-logés. Quand cohérence rime avec bonne conscience. Enfonçons le clou s’il vous le voulez bien. Spot suivant, pour la Société Générale :

     Vous n’avez rien remarqué ? Solidarité, esprit d’équipe, ah comme ils sont généreux et engagés tous ces gens. Ils ressemblent tant à ce que la Société Générale doit être, ou envie de paraitre, j’ai envie de dire. On y voit une équipe de rugbymen et tout le public attendant avec angoisse de connaître le sort d’un joueur blessé, on transpire tous ensemble on va au combat (c’est toujours hype le rugby), puis un homme se précipitant sur le trottoir pour étreindre la voisine qui vient d’apprendre on imagine une terrible nouvelle (bah voyons), enfin, c’est furtif mais tout de même, un groupe de manifestants, plutôt jeunes, WASP et sapés comme des hippies. Ils brandissent des slogans en anglais et défilent dans ce qui semble être une grande ville occidentale (américaine sans doute). L’union, la détermination que ces jeunes gens montrent sont telles que la police montée doit s’écarter sur leur passage, sous entendu que le gouvernement cède à leurs exigences.

     Des jeunes gens, plutôt d’extrême gauche, qui manifestent dans les grandes villes occidentales, cela ne vous rappelle rien ? Bon sang mais c’est bien sûr, les Indignés ! Les Indignés deviennent donc, par la grâce de ce spot publicitaire, les portes-paroles d’une multinationale de la finance. C’est beau non ? Voilà comment je me suis retrouvé hier midi à injurier ce pauvre téléviseur qui n’avait rien demandé. En ce bas-monde, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Même l’indignation.